ÉCRIVAIN ARTISTE, ÉCRIVAIN PENSIF, Natacha Michel
, presentación por Manuel Crespillo, Universidad de Málaga, (Publicado en Analecta Malacitana, XX, 2, 1997, págs. 633-640).
En 1994, alentados por nuestro común amigo Emilio Araúxo, Julio Calviño y yo decidimos publicar en Hybris, que editamos desde 1992 en Ágora, un libro de Natacha Michel que de acuerdo con la escritora francesa decidimos titular El instante persuasivo de la novela (Ensayos metafóricos). En una nota editorial aclarábamos la procedencia de los ensayos reunidos: el texto «Natacha Michel conversa con Pierre Mertens. Sobre la novela, la prosa» había sido publicado en Francia bajo el título de «Conversation avec Pierre Mertens sur le roman, la prose», Cahiers du Théâtre-Poème, nº 1, Ed. de lamberdui, 1990. «El instante persuasivo de la novela» y «Los primitivos franceses» eran conferencias pronunciadas por la escritora en enero de 1987 y marzo de 1991 respectivamente en la Asociación Les Conférences du Perroquet, siendo publicadas por dicha asociación con los títulos de «Linstant persuasif du roman» y «Les primitifs français. Colette». «El duro nuevo estilo» era un artículo publicado con el título «Le dur style neuf». En cuanto a los ensayos «Prefacio. Ante el instante», «La prosa novelesca, una localización en el pensamiento», «Hombres iguales a textos (primera y segunda modernidad)», «El punto de vista de la metáfora» y «La invención de la novela francesa. Madame de La Fayette» habían sido enviados expresamente por la autora para su publicación en Hybris de Ágora. Estos textos no se habían publicado antes en lengua alguna, a no ser en francés, excepto «Prefacio. Ante el instante», especialmente escrito por la autora para la traducción española; así que nos dispusimos a encargar la traducción de todos los ensayos a Mª José Jiménez Tomé. Aunque El instante persuasivo de la novela (Ensayos metafóricos) apareció en 1995, nos quedó, sin embargo, un artículo fuera de contexto. Se trataba de un estudio sobre Djuna Barnes. Mª José Jiménez Tomé presentó entonces a Natacha Michel y tradujo dicho artículo «Sobre La Antífona de Djuna Barnes» en Analecta Malacitana, XVI, 2, 1993, págs. 403-410. Allí habló de sus novelas Ici Commence (1993), La chine Européenne (1975), Canapé Est-Ouest (1989), Le Jour oú le temps a attendu son heure (1990), de sus relatos Impostures et Séparations (1980) y de su manifiesto LHexaméron (1990). De Le Repos de Penthésilée (1980), Calviño y yo habíamos escrito en la cuarta de portada de El instante persuasivo de la novela que Natacha Michel sucumbió al hechizo del subterfugio de Scherezade según el cual narrar el mundo es matar la gorgona / metáfora para exaltar el naufragio del sentido. Travestida de exegeta de la literatura como episteme, la escritora francesa (autora de El reposo de Pentesilea, uno de los textos más hermosos de los últimos cincuenta años) prorrumpe en medio del mythos (la literatura como palimpsesto y como arrebato órfico / oracular) desde el logos (primera y segunda modernidad) para trazar la deriva de la novela (desde M. de Lafayette hasta Colette) como único significante posible.
En
1996 Natacha fue invitada a hablar sobre «el escritor artista y el escritor meditativo» en la Universidad de Santiago. Emilio Araúxo, tan generoso como siempre, convenció a la escritora para que me enviara el texto. He decidido publicarlo en francés, sin traducirlo al castellano, para que Analecta Malacitana tenga la oportunidad de ofrecer entre sus páginas la primicia del texto en su lengua original francesa. Seguramente amamos al escritor artista mucho más de lo que Natacha Michel piensa, y no lo definiríamos como el indiferente ante el pensamiento ni despreciaríamos su orfismo, pero sucumbimos ante ese artista meditativo de Natacha Michel, la diva, de quien hemos aprendido dos cosas que enseñamos desde hace tres años a nuestros alumnos: la metáfora ¡qué literatura, qué uso de la lengua no es un ejercicio de metáfora! es una papirotada del conocimiento y, sobre todo, que escribir no es mentir sino entrar en un mundo de ficción cuyas reglas siempre se nos escapan. Nos gusta ese escritor meditativo para quien el pensamiento significa algo, participamos de su problema i. e., del amor por la literatura sin mezclarnos con lo que no es ella, creemos en la escritura que forja un mundo, una lengua, una belleza. La literatura, y la lengua, el arte de la lengua, no puede mezclarse con la política ni perturbar lo social. Nos subyuga la segunda modernidad, el imperio de la prosa novelesca, en el que todo poder tropológico es una pirueta cognoscitiva. ¿Mide entonces el oro de nuevo nuestro aplomo? Invito al lector a seguir leyendo el texto de Natacha, a coincidir y a discrepar, como tímidamente acabo de hacer, con algunas de sus tesis...
Lor mesure-t-il notre aplomb de nouveau? Ne peut-on aujourdhui guetter dans un matin favorable des signes dexténuation des années bêtes, je veux dire les années
1980. Et par différence, saisir lattitude commise à lécrivain? Années 80, où on vous félicitait davoir eu un article et pas davoir écrit un livre, années du «ouf» poussé à la mort de ceux dont la seule grandeur offensait notre existence, où les prix littéraires devinrent le tribunal de la littérature, et les ventes son Olympe ce qui fut toujours, sauf comme norme, où on ne tenait plus ceux qui entrent aux académies pour des vieux cons, mais pour des jeunes malins, où la fin des idéologies se changeait en la plus puissante dentre elles, jai nommé la démocratie jamais aucune ne régna ainsi sans partage, où le seul universel recevable était luniversel reportage, où était dit misanthrope, terroriste, imbécile, cest tout comme, quiconque osait, timidement ou pas, sétonner de ce qui précède, où on célèbrait 1789 à laide de Marie-Antoinette, et la Vendée par Soljenitzine, où le mot «vérité» épelait les lettres du mot «stalinien», et où toute pensée un peu affirmative apparaissait totalitaire, quand elle aurait porté sur la logique du deuxième ordre, et provoquait le dédain et la mauvaise humeur. Cest alors que lécrivain, je parle non de lidéal, dune corporation ou dune entité sociologique, mais de celui quune oeuvre venue ou à venir confronte, lécrivain, qui, jusque alors et à peu près, montrait un savoir encyclopédique, une curiosité indéfectible, lisant les autres écrivains et les jugeant au nom de critères internes, lécrivain qui, enfin, par létude, lintérêt témoigné au monde, la lecture, marquait que nexistait pas que lui, qui persiflait les honneurs si même il les convoitait, dautant que, par-dessus le marché, il en fut qui ne sincarnèrent jamais en eux, bref en un mot, lécrivain-intellectuel disparut et apparut lécrivain artiste.Lécrivain artiste est principalement celui à qui la pensée est indifférente. Il la récuse sous prétexte quelle est théorique et que lui est pratique, quil est lacte et quelle est la claque. Il lécarte parce quelle lui semble desuéte et que lui est alerte, il ne dira pas moderne, à moins que, le mot ayant séjourné dans les journeaux, il risque «post-moderne». Il en a peut-être contre les idéologies, et surtout contre les avant-gardes, non parce quil a réfléchi sur ce qui les rend aujourdhui impossibles, mais parce que le vocable montre une figure féroce. Lui est doux, il ne veut de mal à personne, dailleurs, à part lui, il ny a personne. Ce quil écrit, il ne sait pas comme il lécrit, cest dans la transe. Hors limmense public qui porte la littérature sur un théâtre, seul le théâtre a un public, il lui est aussi naturel que léquipage au bateau, tandis que le livre, et son action indirecte, nont quun destin et des destinataires, hors le public donc, lécrivain-artiste est seul. Le groupe, même voué à des enroulements transitoires, le groupe, qui déchire linstant, et atteste ainsi létat desprit sur un point, lui semble le vieux fléau. Lavant-garde, le groupe, relégués dans lEnfer des Signes, reste la pensée: il nen a pas besoin, la marche se prouve en marchant, tout est dans la page et pas dans lesprit. Du coup, inutile de penser pour loeuvre ou delle, lidée est inutile ou ennuyeuse. Lécrivain artiste a tout en lui-même et rien au dehors. Le temps quil fait sur les Lettres? La littérature est devenue éternelle.
Sa règle de conservation, jappelle ainsi la loi de non péremption littéraire, qui veut que nul auteur ne soit aboli par celui qui le suit, submerge sa règle de changement selon quoi, après certains écrivains, chacun le sien, cela dépend du choix des ascendants, rien nest pareil, règle des après plutôt que des ruptures. Les lettres devenues immunes aux chocs qui les ébranlèrent, lécrivain-artiste est, selon, lenfant joyeux libre du lion et du chameau de la fin de Zaratoustra, soit, parce que, hors pensée, il ny aurait que jeu de langage, wittgensteinien à la mode de Bretagne, soit enconre partisan dune pleine restauration. Restauration? La règle de conservation domine sans partage et exclut absolument celle de laprès. «Rien na eu lieu que le lieu», lirruption de clartés multiples a levé un jour vain. Lavant, le juste avant, irrite lécrivain-artiste ou lafflige. Du passé (récent), faisons table rase. Cest le grand avant qui lattire et de rejoindre lanse étroite au calme.
Mais le plus étrange est que ce nouveau bohème se sépare de celui de Murger dun distinguo capital. Lécrivain artiste ne fait aucun cas de lart, celui de la prose, celui du roman. Il est artiste et pas second de cordée. Dabord lart nest pas «une force qui va», il réclame, dit Rimbaud, de trouver «le lieu et la formule», ou davoir en tête quelque discours de la méthode, chaque écrivain en a un, qui répute pour faux quil croit douteux et cherche les voies quil peut suivre. Sil se souciait de lart, lécrivain-artiste devrait se demander, moins ce quil est, que sil est, et serait conduit à soulager locculte, et à différencier. Pas du tout à couvrir des milliers de fastidieuses feuilles et à rétablir la suture de lécrit romanesque à la pensée critique, qui signe ce que jappelle la première modernité et entraîne sa clôture. Non, il faudrait simplement que linstinct de distinction descende en lécrivain-artiste, lors dune Pentecôte de la rage. Car lart nexige pas beaucoup, et seulement, à laide du plaisir précurseur, de ne pas être confondu avec le non art. Il nappelle pas à la destruction de ce dernier sans lequel toute différence ferait défaut, juste à son identification, qui le fait aussi être lui. Lart demande à peine, mais il le demande, que entre lui et le non art, le repérage dun disparate soit noté, quun regard initial se plaise à discerner, ce qui peut-être commande dhabiter le commun. Or, le propre de lécrivain artiste, et ce qui finalement le constitue, est dévaporer ce partage, de se dérober à ce lotissement. Il nest artiste que parce que, pour lui, rien de la sorte nexiste, parce quil loge du côté du grand tout, étant la mesure à quoi tout se réduit. Par sa seule existence, il dissout la dispute. La faille affale lécrivain-artiste. Il est unanimiste, surtout à son propre endroit; il écrit au génie (on écrit toujours comme cela, pas besoin de le dire), surtout pas au projet. Le projet, il laisse cela à dautres. Et tout prêtre de lécrit quil soit, son flegme à lendroit des réalités scissiles comme lardoise, le pousse placidement vers lacadémisme. Au fond, sa misologie noppose pas de hasard. Honni, déprimé, le voeu dexpansion totale qui allait de loeuvre à sa pensée! Penser, vous me direz, est le travail de la critique. Je répondrai dune phrase de Paulhan, disant dune France dalors, que ny résidait quun seul critique: Féneon. Heureux Paulhan: notre situation est plus mauvaise encore.
Lécrivain artiste, tacite et glorieusement ignare ou faisant semblant de lêtre, choyant son éminence, et enduit dune couche suffisante de visibilité, est-il exceptionnel? Sil sagit de penser il y a tant dautres, venus du livre, à le faire. Les divers Victor Hugo, entendus ici comme terme générique pour le meilleur, puis surtout pour le pire, les mille «Victor Hugo les petits», comme disait le grand de Badinguet, cest-à-dire ces inlassables débatteurs actuels, tous ceux-là ne pensent-ils pas? Je les estime pour ma part en parfaite unité avec les scripteurs artistes. Ce sont, mal ou bien, subtils ou épais, des penseurs orphiques. Je mexpli-que. Jappelle «orphique», le moment où, au culte de louvrage, se substitue celui du poète, où lon révoque les titres propres au livre au nom du titrage public, où lécrit naccompagne plus lécrit, mais lécrivain qui le représente. Que fait dautre lécrivain artiste? Les penseurs sont les idéologues des artistes aphasiques, et artistes eux-mêmes, plus bavards. Pas difficile, ils sont souvent une seule et même personne. Dune certaine façon, lorphisme signe la pacte de lécrivain et de lopinion. Lopinion, on la su, ne sait faire que des majorités et non des vérités. Sans doctrine et sans groupement, préférant la faiblesse de la doxa à une musicalité rebelle, lécrivain artiste se substitue féériquement à une conscience, donnant par contraste à «intellectuel», terme qui pourtant se mourrait de fatigue, un élan.
Je ne suis, je le crains, pour nulle restauration, je nambitionne pas le retour, disons, des années soixante, je les salue, les estimant closes, mais, il sen faut de beaucoup, pas indignes. Tout dessein dure. Lécrivain pensif ne prétend pas à relever les morts, mais à capter un peu de notre être, ou à projeter vers quelque élévation, ce que jaime nommer une seconde modernité.
Lintellectuel, culte frivole omis, et quand ce nest pas au vieux birbe quon songe, naccueillait pas en lui que la volonté de savoir. Lencyclopédie, condition nécessaire et pas suffisante, seule son absence la hausse, ne parvient quau savant, que le démontage de lécrivain devrait laisser apparaître, et qui ne le fait pas.
Lintellectuel constellait trois références lartiste les dirait un leurre: à la politique, à la pensée et lart, aux institutions. Aux institutions, je veux dire, à lofficiel, à la chose étatique, son rapport était de nen avoir pas, ou le moins possible. Il ne les goûtait guère, les brocardait, les critiquait, estimant quelles et lui nallaient pas ensemble, nacceptait pas de sy conformer et tenait cette conduite pour la clef de son indépendance. Il était donc oppositionnel dans lâme et dans lesprit, critique. Il estimait néfaste damalgamer son chiffre à laccord général. Sa relation à la politique empruntait drastiquement aux partis en place, fréquemment au parti communiste français (éternellement défunt) qui, se trouvant hors lÉtat, offrait à lécart sa piètre caution. Il mest agréable de noter que les intellectuels, toujours avides de pouvoir ou sachant sen créer un dalternance, ne soient constitutivement eux-mêmes que sans pouvoirs. Pardonnez-moi de discerner des jalons. Mai
68 fit litière de ce parti bien avant que les trompettes de Jericho ne fissent tomber les murs dun socialisme mortellement programmé. Et le programme commun ouvrit au PCF le pouvoir. Ce ne fut un coup que pour ceux qui de longtemps ne le combattaient pas ou qui ne visaient en lui que laccession dun autre groupement au pinacle.La fin des intellectuels, leur éclipse, et lordre pour eux de surseoir (pourquoi aurait-elle coïncidé avec la fin du socialisme réel que nombreux avaient pensé et critiqué de longue date, ou avec ce quon appelle si drôlement la fin des idéologies), léclipse des intellectuels donc se laisse nettement identifier avec une crise de vocation à lindépendance. Leffacement des intellectuels na pas pourtant abouti à lindépendance de pensée. Lilotisme, le commerce triangulaire auxquels lécrivain-artiste se disait soumis, confiant au menu jeu de lexistance le soin de lémanciper du fief des terribles idées, céda le pas au consensuel ou formation dune opinion doffice. Consensuel, même son de cloche partout, à la diversité succède un obséquieux fantôme. La disparition des «lu-cioles» ou des intellectuels, parmi quelques raisons, cest quand lÉtat sous les espèces de lopinion, devient le protagoniste exclusif et quon conscence plutôt quon conscience seul. LÉtat est-il si méchant? Vieilles lunes? Ce nest pas mon propos, il est tel quon ne peut aller que dans son sens, ou alors sécarter. Quoi quil en soit, le retrait médité des institutions, je veux dire, des académies, des ministères, des télévisions, ne trouva plus damateurs. Personne ne voulut plus être «torchon», qui ne se mélange pas avec les serviettes. Et le torchon, qui parfois brûle, relégué aux oubliettes, ou auprès de certaine cuisinière (celle du livre de Gluskman, La cuisinière et le mangeur dhommes), la télétropie, qui sen suivit, ne fit que sen suivre. Élisons cette fausse place publique comme publicité, si par là nous imaginons nous accroître, et nous aurons raison, et cessons de croire y dire. Elle ne se proclama pas toute seule gardienne des mystères. Pour quelle fît semblant de régner, il fallut quon estimât agréable de navoir dautre vis-à-vis que lopinion commune. À la Visitation par lange de la littérature succéda la visite aux plateaux. Alors, le jugement des pairs importe moins que ceux des impairs, alors le récit désespère de lanalyse et on raconte bien moins bien son livre quil na été écrit, alors la biographie lemporte sur loeuvre.
Lécrivain pensif est celui pour qui la pensée nest pas rien. Dailleurs, il estime quil y en a. Il nest pas le tombeau de lintellectuel, ni son enfant prodigue. Sil anime les intérêts qui furent les siens, il ne les incarne pas. La politique? Au sens où je lentends je men expliquerai si vous me posez la question, elle est rare, et séquentielle, nul parti ne peut se dire son abri. Le pensif est jaloux de son indépendance, il lexerce en épiant, pour lamour de lart, les sonorités intransfusibles, certes, mais aussi en fatiguant lindistinction générale où gît penseur et écrivain. Quoi? il naime guère que lécrivain soit un penseur? Certainement pas. Son affaire est lamour de la littérature, non son mélange avec ce qui nest pas elle, et en outre, si penseur veut dire le débatteur actuel, peu de choses. Que la littérature soit pour lun, le seul monde quon puisse engendrer ou le commutateur de lesprit, ou encore méditative et active, peu importe. Elle existe. Forgeuse de monde, de langue, de beautés. Peu importe quelle semble invisible de loin ou de près pourvu quelle soit. «Ceci vaut» ne sont pas pour le pensif les mots les plus affreux de la langue française. Son envie, sa rivalité, son inquiétude, il prétend quil vaut mieux en faire des passions que des principes. Peut-être, cite-il la phrase de Mallarmé où il est question de «céder linitiative aux mots» et où «loeuvre pure implique la disparition élocutoire du poète», je ne sais sil lit la prose des poètes, mais son point de départ est la foi en plusieurs. Il croit que ce qui réunit est la prétention à loeuvre. Évidemment, pas plus saint quun autre, il salimente dun reliquat dintrigues. Cest juste une figure peu conjointe à celle de lartiste et à celle du penseur. Mais cette pensée à laquelle il sintéresse?
Pour ma part, je crois que lécrit pense et je crois quil existe dautres pensées. La littérature, comme dirait Deguy, nest pas seule. Lamour de la littérature veut, cest son paradoxe, quelle soit sans solitude. Non parce que la prose communique, dans une sorte dinterdisciplinarité (horreur!) avec les autres pensées, ou quelle forme la base et lélément quelles pourraient élaborer, ou quune division des tâches, ou du travail, la spécialise au sensible, décernant aux autres labstraction. Au contraire, cest quand la littérature est seule, que, réduite au sensible, celui-ci senfle jusquà la toute-puissance. Lécrit littéraire, alors, nest plus rien que le glas qui sonne pour toute pensée. Cest bien plutôt lorsque la littérature nest pas seule, ni noscillant vers aucun langage régnant, quelle forme domaine complet, ou prose et pensée de prose.
La littérature palpite de vérités et didées et, sans doute, lécrivain pensif est-il celui pour qui elles comptent. Si bien que, loin dêtre pareil à celui des années soixante, pour qui était patente la continuité entre les pensées, entre, par exemple, philosophie et Lettres, politique et Lettres, science et Lettres, lécrivain pensif les distingue, il est à côté de la philosophie, de la science, de la politique, quand elle existe, il nest pas en elles. Alors linjonction méditative de lesprit, quen fait-il?
Il pense quil y a quelque chose plutôt que rien. Que la littérature éternelle nest pas éternelle, à moins de déclarer notre promiscuité avec du vide. Car, si rien na changé, si nexiste que lancien immortel, la littérature est ce quelle a toujours été et cest le retour ou la restauration qui, ces jours-ci, appela au roman éternel, déclarant nulle lère des nouveautés, cest le retour qui a raison. Aucune nouvelle catégorie littéraire ne surgit. Il ny a rien à penser. Appelez-la, cette catégorie nouvelle, prose romanesque, roman excessif, ou touche correspondante à une facette de mystère, quelle que soit lhypothèse, et le nom quil lui offre, lécrivain pensif veut faire entendre le cri de létendue. Et faire un pas de plus et non en arrière.
Pour ma part, ce pas de plus, je lappelle seconde modernité; ne mimportune pas que le pas en question la scande. Ligne de partage davec tout «revenez-y», gardant loeil sur le spectacle jamais immobile dautrefois, conservant le soupçon à lendroit du roman, de sa linéarité, refusant le sommeil hypnotique de lintrigue, elle est Seconde (modernité) parce quelle prend en compte et salue la première, celle dont la destruction fut la Béatrice. Et Modernité parce quelle demeure sous linjonction du moderne et non sous celle du passé.
Seconde parce que, ne consentant pas à linfériorité, elle délivre une idée neuve, pour moi, celle de prose romanesque. La prose romanesque offre lensemble du livre à lenthousiasme de la langue. Il vit sous cette autorité unique. La langue, mais tous les livres en ont une? Ils ont un style, une manière de dire, serviteur zélé à raconter, outil suggestif. La question est celle de lautorité. La langue, qui fonde la prose romanesque, nest pas une langue instrument, lhabit de lhistoire. De son incipit à son dernier mot, elle déroule sa puissance dinfini. Mais pour autant, elle nest pas «écriture» ou Langue en soi, qui, entre autres, sonna lextinction des feux de la première modernité. Elle refuse de senfermer dans le textuel, elle ne se prend pas pour objet; elle est instituante, langue unique de lécrivain et pas langue travaillant sur la langue dans une circularité. Elle nest pas écriture parce quelle est prose romanesque. Car la prose romanesque est romanesque. Je veux dire: elle se donne le roman comme altérité et en cela elle le réengage. La prose romanesque nest pas prose vide, elle chérit les histoires, comme le fait lamour. Si elle réengage le roman, si cest sa dimension reconstructrice, ce nest pas à lidentique. Le roman de la prose romanesque nest pas tout à fait un roman ou alors, il faut le dire roman excessif: excessif parce quil transgresse la vieille séparation entre prosaïque et poétique, sifflant à tue-tête les métaphores, les images, les comparaisons dans le «voilà!» dune poésie de prose qui nemprunte rien au poème, et qui consent à ce principe dexcès. Quil sagisse de cela ou dautre chose, lécrivain pensif dédie sa pensée à le savoir. Ne laissant à personne le droit doccuper ses pensées, le pensif construit sa frêle et tenace inviolabilité.
RESUMEN PARA REPERTORIOS BIBLIOGRÁFICOS
TÍTULO: ÉCRIVAIN ARTISTE, ÉCRIVAIN PENSIF
A
UTOR: Natacha Michel.L
UGAR: París.T
ÍTULO DE LA REVISTA: Analecta Malacitana, XX, 2, 1997.R
ÉSUMÉ: Analyse de deux figures clef et antinomiques de la conjoncture littéraire actuelle: lécrivain artiste et lécrivain pensif. Thèse essentielle: la littérature est pensée.A
BSTRACT: Analysis of two essential and antinomic figures of the present literary moment: the artist-writer and the thinker-writer. Basic thesis: literature is thought.M
OTS-CLÉS: Écrivain artiste / écrivain pensif / avant-garde / intellectuel / règle de conservation / règle des après / orphisme / consensus / langue / prose romanesque / première modernité / seconde modernité.K
EY-WORDS: Artist / thinker / thought / intellectual / vanguard / rules of preservation / rules of next / orphism / consensus / language / romanesque prose / first modernity / second modernity.