Contrastes d’inclusion et d’exclusion des morphèmes relationnels en français et en espagnol:

du locatif a l’agentif

 

George Victor Nguepi

(nguepigvi@yahoo.fr)

université de douala

 

 

Resumen

Los elementos de relación son desde el punto de vista sintáctico desinencias casuales, por la variación de las funciones que desempeñan y cuyo contenido es tributario de las circunstancias del discurso.

 

Résumé

Les éléments de relation sont sur le plan syntaxique des désinences casuelles, compte tenu de la variation des fonctions qu’ils assurent et dont le contenu est tributaire de l’environnement du discours.

 

Abstract

Elements of relation are in the syntax view casual inflexions, if we take into account the variation of functions they usually achieve and whose contain depends on the discourse environment.

 

Palabras clave

Desinencias casuales

Función excluyente

Función incluyente

Elemento de relación

Morfemas

 

 

Mots clés

Désinences casuelles

Fonction d’exclusion

Fonction d’inclusion

Élément de relation

Morphèmes

 

 

Key words

Casual inflexions

Function of exclusion

Function of inclusion

Element of relation

Morphemes

 

AnMal Electrónica 25 (2008)

ISSN 1697-4239

 

 

 

INTRODUCTION

 

Les morphèmes relationnels font généralement référence, soit à une préposition[1] considérée dans son acception traditionnelle, soit alors à une postposition prise comme telle en fonction de son rôle syntaxique. En tenant compte de cette discrimination, la différence de traitement entre les éléments de relation suppose t-elle que d’une langue à l’autre il existe une certaine variation fonctionnelle de ces éléments, tant sur le plan syntaxique que conceptuel? Cette question apparemment banale est pourtant récurrente en classe de langue car, même s’il est admis que dans la plupart des langues les éléments de relation se placent à la périphérie des syntagmes nominaux, sans apparaître particulièrement soudés aux substantifs qui en constituent le noyau, il n’en demeure pas moins vrai qu’ils apparaissent aussi (dans les mêmes conditions), placés à la finale des expressions nominales au moins assez souvent qu’à l’initiale. Sur cette base, est-il donc possible de dire qu’il existe une certaine correspondance syntaxique entre les éléments de relation dans toutes les langues?

Pourtant, leur positionnement contextuel est souvent à l’origine des fonctions casuelles qui tranchent avec leurs caractéristiques traditionnelles, expliquant de ce fait la difficulté des élèves à les interpréter convenablement. Il devient urgent d’expliquer pour chaque cas de figure la nature du morphème relationnel en présence, ce à quoi nous voulons nous atteler tout au long de ce travail qui —faut-il le rappeler— intervient comme complément des différentes analyses jusqu’ici consacrées à la phrase par les différentes grammaires, notamment dans son aspect fonctionnel. Ceci est d’autant plus important que ces éléments s’inscrivent dans la catégorie traditionnelle des morphèmes dont la délimitation ne peut reposer sur un critère flexionnel toujours objectif. C’est fort de tout cela, et compte tenu du fait que les prépositions, les particules, les quantificatifs, etc. sont des morphèmes relationnels, que survient encore une fois la question de savoir s’il est possible par exemple de formuler une définition précise permettant de délimiter les inventaires d’unités identiques aux inventaires traditionnels de prépositions ou du moins peu différents. Ainsi posé, le problème à notre avis, consiste essentiellement de voir dans quel sens et jusqu’à quel point il convient de restreindre ou de nuancer la définition traditionnelle accordée usuellement aux éléments de relation, notamment en fonction de leurs différents statuts: locatif, situatif, évolutif, bénéfactif, etc. (Pottier 1992: 138). Il s’agit en effet d’une étude au cas par cas qui, en fonction des contextes d’énonciation, permettra de cerner les spécificités de chaque élément de relation en français et/ou en espagnol, en nous inspirant évidemment des exemples pris habituellement pendant les cours de grammaire.

 

 

CADRE DE L’ÉTUDE: CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES

 

En français et en espagnol, les éléments de relation sont des morphèmes qui se désignent soit sous l’appellation de préposition (a, de dans, en, etc. / por, con, hasta, etc), soit sous celle de particules (encore, déjà, si, etc / aún, ya, si, que, etc), de conjonctions (et, mais / y, pero) ou alors de quantificatifs (plus, moins / más, menos, etc). Leur fonction syntaxique usuelle est de mettre en relation des syntagmes nominaux et/ou des prépositions. C’est dire si leur absence dans une structure peut entraîner des modifications fonctionnelles dont les répercutions sur le plan significatif sont indéniables. Prenons un exemple:

 

Escribió a su padre para que le asistiera

 

Nous remarquons d’emblée que le verbe escribir, de par son contenu valenciel suggère fortement un actant et un patient dont le schème représentatif alguien escribir a alguien en constitue le module actantiel, alors que la proposition introduite par la conjonction para est périphérique, optionnelle donc circonstancielle. Ce qui nous intéresse ici est surtout le fait que dans le premier cas, l’élément de relation est intérieur au module actantiel de la proposition au sein de laquelle il évolue, traduisant ainsi la relation inter phrastique, tandis que dans le second cas, il s’agit d’un lien intra phrastique, le tout se retrouvant dans un cadre spécifique qui est celui des éléments de subordination. Toutes ces caractéristiques sont en effet liées à un cas précis (celui de la subordination) parce que parallèlement il existe ceux exprimant une coordination ou une comparaison ainsi que l’attestent les séquences ci-dessous. Exemple:

 

Jules et Marie s’en vont

Jules s’en va, mais Marie reste

Jules voyage plus que Marie

 

Il ressort de ces exemples que sur le plan syntaxique, il existe une équivalence théorique possible entre un syntagme nominal, une proposition à l’infinitif et une proposition introduite par une particule qui selon les circonstances peut être que, de ou si. A titre d’illustration nous reprenons, avec la bienveillante autorisation de Pottier et al. (1995: 216) ces quelques exemples en espagnol:

 

a) Avec la préposition para:

Para Juan (SN)

Para entregar a Juan (infinitif)

Para que se entregara a Juan (proposition)

 

b) Avec la préposition por:

Por su culpa

Porque tiene la culpa

Por tener la culpa

Por si tuviera la culpa

 

c) Avec antes:

Antes de su salida

Antes de salir

Antes de que saliera

 

Toutes ces séquences traduisent des systèmes de représentation qui renvoient à différentes fonctions casuelles liées à chaque élément de relation, en fonction de la visée retenue. Nous verrons donc sur quelles bases s’établissent ces fonctions casuelles et quelles visées engage chacune d’elles sur le plan non seulement de la langue mais aussi du discours, tant il est vrai que toutes les unités auxquelles le statut de désinences casuelles est traditionnellement reconnu font partie de l’ensemble des éléments de relation. Dans cette perspective, nous ne pensons pas qu’il faille cerner la notion de préposition, de conjonction ou de quantitatif comme étant une catégorie particulière de morphèmes opérant au niveau d’un type particulier de relation syntaxique (selon les cas), mais d’envisager une définition relativement large de tous ces morphèmes même si par ailleurs il est envisageable d’évoquer les distinctions et les distances qui les séparent sur le plan conceptuel. Cette intention n’est pas un vœux pieux, elle prend appui sur des faits de langue qui, à bien y regarder, suscitent notre questionnement permanent.

Un cas particulièrement intéressant à examiner est celui de sauf, morphème que toutes les grammaires du français classent comme préposition, alors qu’il est facile de voir que le nom qui lui succède a des propriétés qui ne permettent pas de l’assimiler à un argument nominal du prédicat verbal. Analysons cet exemple:

 

a) L’équipe n’est pas venue avec sa voiture

b) L’équipe est venue, mais pas avec sa voiture

 

Dans la première phrase, la négation peut sémantiquement affecter le complément prépositionnel et non le verbe lui-même, c’est-à-dire qu’une interprétation possible de cette phrase est : l’équipe est venue par un autre moyen qu’avec sa voiture. Ici, la phrase b exprime la même signification sans aucune ambiguïté. Ceci nous permet alors de constater qu’une caractéristique importante des compléments prépositionnels du verbe est de pouvoir se trouver sous la portée d’une négation dont la présence desdits compléments n’entrave pas le fonctionnement. Or nous savons que la présence de sauf dans une phrase est sur le plan syntaxique concomitante avec le blocage du fonctionnement de la négation. Nous ne pouvons par exemple dire *le cardinal ne les a pas tous béni sauf Jules, encore moins *le cardinal les a tous béni, mais pas sauf Jules. Creissels explique: «... la seule façon de rendre compte des blocages auxquels est liée la présence de sauf est de considérer que ce morphème introduit une dépendance entre le nom qu’il introduit et le quantificateur d’un autre constituant nominal» (1995: 185).

Ceci revient à dire que, si on veut maintenir une notion de préposition (et cela est valable pour tous les autres éléments de relation) proche de la pratique des grammaires usuelles du français, c’est-à-dire celles qui tiennent compte des nuances conceptuelles possibles, il faut éviter de donner une définition qui lierait strictement la notion de préposition (comme c’est le cas ici) à l’expression de contrastes entre arguments d’un prédicat. Dans le cas d’espèce, il semble raisonnable de reconnaître comme prépositions les morphèmes qui s’antéposent au nom et dont l’occurrence est liée à l’insertion du nom dans une construction de rang supérieur, quelle que soit la nature exacte de cette construction. Toutefois, il reste pour chaque cas à donner des précisions pour résoudre les problèmes d’analyse que laisse entrevoir le fonctionnement des éléments de relation, quelle que soit la langue choisie. Ceci devra passer à notre avis par une définition éclairante du statut argumental de chacun de ces morphèmes dans son contexte d’évolution, tâche à laquelle tout professeur de langue devrait s’atteler en permanence, étant entendu que l’enseignement des langues aujourd’hui est un processus enveloppant, essentiellement dynamique.

En clair, il faut dire que les éléments de relation dans leurs fonctions casuelles intra phrastiques (par opposition aux fonctions inter phrastiques) se définissent essentiellement par rapport au constituant nominal vis-à-vis duquel ils peuvent se positionner soit comme pré-(position) soit comme post-(position). Cette juxtaposition au constituant nominal, sans lien morphologique attesté avec le substantif, très caractéristique de la plupart des langues européennes (dont le français et l’espagnol), a été d’ailleurs à l’origine du terme d’ adposition proposé par Lazard (1994), pour désigner l’ensemble des éléments de relation intraphrastiques. Ce néologisme a été proposé indépendamment du fait que l’élément en question est antéposé ou postposé au constituant nominal. Ici, rappelons à la suite de Creissels (1995) qu’il faut entendre par fonctions casuelles, quelle que soit leur manifestation morphologique précise, toutes les relations susceptibles de s’instaurer entre un constituant nominal et un prédicat par rapport auquel ce constituant nominal prend le statut d’argument. Ainsi présentée, cette définition cadre à notre avis avec la situation des éléments de relation intraphrastiques tels que décrite plus haut. Exemple:

 

Le curé donne une bible à Paul

 

Dans cette phrase qui sur le plan syntaxique est une expression prédicative avérée, les termes le curé et une bible, assument des fonctions casuelles différentes, bien qu’ici aucun élément de relation explicite ne marque le contraste, alors que la fonction casuelle du terme Paul, en situation syntaxique de complément d’objet second est marquée par la préposition à. Prenons un autre exemple avec un autre élément de relation:

 

    L’analyse de la maison blanche de la situation au Moyen Orient est floue

 

Dans cette phrase, le relateur de est sollicité à plusieurs niveaux mais avec ancrage sur deux points essentiels qui sont respectivement l’analyse de la maison blanche et de la situation, du fait de leur fonction syntaxique dans la phrase. Ici il s’agit de la notion de cas qui s’applique à des morphèmes qui (au moins pour certains d’entre eux) n’opèrent pas seulement au niveau de la relation prédicat/argument. Dans notre exemple, l’expression de la situation au Moyen Orient est un génitif introduit par le relateur de, qui dans les deux premiers points d’analyse introduit plutôt l’agentif. Dans cette perspective, de se positionne comme désinence casuelle du fait de la variation des rôles qu’il joue en tant qu’élément de relation, à savoir celui d’agentif et de génitif dans un même contexte syntaxique. Il faut donc dire qu’en français, tout comme en espagnol, le relateur de peut intervenir non seulement au niveau de la relation génitivale mais aussi au niveau de la prédicative. Ce relateur, comme tous ceux qui insèrent le constituant nominal dans une construction de rang supérieur, n’est pas spécialisé que dans une fonction précise, comme nous venons de le constater à l’instant.

Une telle prise de conscience est tout à fait nécessaire pour l’évolution de la grammaire, puisqu’elle permet de désigner comme morphèmes casuels, sans qu’il y ait aucun risque de confusion, tous les morphèmes adnominaux dont l’occurrence est liée à l’insertion du nom dans une quelconque construction de rang supérieur, quelles que soient leurs caractéristiques morphologiques précises. Nous pensons en effet qu’en procédant ainsi, on ne fait qu’élargir la valeur de base de la notion de cas appliquée aux éléments de relation, même si certaines opinions ont proposé de distinguer entre les cas syntaxiques et les cas sémantiques, ce qui fait la spécificité de l’un ou de l’autre dans les contextes syntaxiques où ils sont appelés à évoluer. Citons à cet effet Tesnière (19592), qui propose une distinction entre les notions de «actants et circonstants».

Sur la base de telles observations, on peut justifier la distinction de deux statuts possibles des prépositions du français, notamment dans le cadre de la relation prédicative. Observons à cet effet les phrases suivantes:

 

a) Le livre est posé devant la table

b) Le livre est posé sur la table

c) Le livre est posé sous la table

d) Le livre est posé ?

 

Ici, le questionnement sur le constituant nominal se fait par l’intermédiaire de la phrase d qui ne comporte pourtant aucune trace des prépositions susceptibles d’apparaître dans les trois phrases assertives précédentes. Comment ne pas évoquer non plus le cas des phrases où une préposition s’ajoute à un terme de l’unité phrastique lui-même susceptible d’inclure une préposition? Il s’agit en fait des phrases simples utilisées dans le langage courant sans que personne n’y prête attention à l’instar des séquences ci-dessous, avec idée de circonstance de lieu implicite. Exemple:

 

Jules a prévu son mariage pour dans trois mois

Jules a prévu son mariage pour quand?

 

Il ressort de cet exemple le constat selon lequel il ne faut pas lier la question des fonctions argumentales à celle des prépositions ou plus généralement à celle des morphèmes casuels. Nous allons en effet le voir dans la suite, notamment en évoquant des cas de phrases où certains morphèmes peuvent revêtir le double statut de préposition et de conjonction, même si à première vue, la distinction entre prépositions (comme morphèmes liés à l’insertion d’un nom dans une unité supérieure) et conjonctions (comme morphèmes opérant au niveau de la relation entre deux structures phrastiques) semble claire. Ceci est d’autant plus important que dans la pratique, la mise en oeuvre de ces définitions soulève des problèmes d’interprétation bien délicats. Pour en avoir une idée, nous allons nous intéresser à un morphème un peu particulier à l’instar de comme, qui selon les circonstances est reconnu soit comme préposition, soit comme conjonction, semant ainsi la confusion dans l’esprit des élèves. Observons à cet effet cette phrase:

 

Il dort comme un loir

 

Dans cette phrase, le groupe comme un loir a syntaxiquement les caractéristiques d’un complément du verbe. Mais ce qui rend difficile l’attribution du statut traditionnel de préposition à ce morphème est que parallèlement il existe des phrases où comme n’introduit pas un nom (comme usuellement reconnu), mais une unité phrastique, ainsi que nous le montre cette autre séquence:

 

       Il dort comme il sait le faire

 

Face à un tel flou, il faut dire (pour nuancer les choses) que le classement de ce morphème dans la catégorie des conjonctions implique nécessairement que l’on considère qu’il a fondamentalement pour rôle d’introduire une unité phrastique, mais que celle-ci peut ne pas être entièrement explicitée et se réduire en réalisation à l’un de ses constituants nominaux. Sur ce point, la grammaire traditionnelle n’a pas voulu prendre beaucoup de risques, notamment en choisissant comme morphème de coordination ce qu’elle a désigné sous le vocable unique de conjonction, même si dans certains cas, dans l’énoncé réalisé, c’est un nominal qui suit le morphème et non une unité phrastique, comme normalement attendu. Une fois de plus nous pouvons comprendre pourquoi les éléments de relation ne répondent pas toujours aux définitions catégorielles de prépositions ou conjonctions qui sont une émanation de la grammaire traditionnelle, et très usitées dans nos salles de classe. Le morphème comme avec son double statut de conjonction et de préposition vient en effet de montrer que les éléments de relation sont bel et bien des désinences casuelles et de ce fait assurent des fonctions casuelles. Cette situation n’est pas propre à la seule langue française. L’espagnol nous offre en effet des exemples forts édifiants. Prenons quelques cas:

 

¿Quiere usted leche o [quiere usted] matequilla?

Yo compro leche y [yo compro] matequilla

 

Ces deux séquences nous présentent deux structures portant sur la conjonction et sur la coordination où nous voyons clairement le rôle du constituant nominal (mantequilla) qui se convertit en unité phrastique avec l’apport du verbe repris de façon emphatique. Ici, l’usage des crochets veut dire que l’ellipse du verbe à l’endroit indiqué n’enlève rien au contenu significatif de la phrase. Face à cette difficulté qu’il y a parfois à choisir entre conjonctions et prépositions, et en s’inspirant de la théorie de la translation développée par Tesnière, il faut dire à la suite de Creissels:

 

Une solution possible [...] serait de réunir d’abord en une grande catégorie tous les morphèmes relationnels dont l’emploi ne peut pas s’expliquer en termes de coordination, et de n’en proposer un classement éventuel qu’après une étude fine du rôle qu’ils assument dans les diverses constructions auxquelles ils participent (1995: 196).

 

Ceci revient à dire qu’il faut éviter (comme nous l’avons dit tout à l’heure) les définitions catégorielles a priori des éléments de relation, et n’introduire une notion (comme celle de préposition par exemple) qu’une fois qu’on est vraiment en mesure de justifier de façon précise son utilisation pour caractériser un sous-ensemble de l’ensemble des morphèmes relationnels. Ceci éviterait aux élèves des confusions aux conséquences graves, telles quelles sont vécues quotidiennement dans nos salles de classe pendant les cours de grammaire.

 

 

DIFFICULTÉS SÉMANTIQUES AUTOUR DE LA FONCTION

DE COORDINATION DES ÉLÉMENTS DE RELATION

 

La fonction de coordination des éléments de relation pose sur le plan syntaxique deux types de problème qui sont en fait liés, à savoir la nature syntaxique et la nature sémantique des relations qu’ils entretiennent par rapport au contexte discursif dans lequel ils évoluent. Pour le moment, nous allons nous appesantir surtout sur l’aspect sémantique de la question, non parce que l’autre aspect n’est pas digne d’intérêt, mais parce que pour le cas précis de ces morphèmes, la composante sémantique est vraisemblablement celle qui pose le plus de problèmes aux élèves pendant les cours de grammaire. Pour ce faire, nous partirons d’abord du fait que la systématisation syntaxique et sémantique (éventuellement) est une réalité de la langue, mais constamment mise à rude épreuve par le fait de l’existence des formes qui se situent à la limite des deux catégories du système. Ici, notre conception de la langue est celle d’un système cohérent d’oppositions, mais un système non régi dans un double sens parce qu’il permet non seulement l’existence des zones intermédiaires de gradation entre les pôles extrêmes de l’opposition, mais aussi la contiguïté sémantique, c’est-à-dire qu’un couple de signes, au-delà d’une opposition attendue, peut en marquer plutôt une autre, sémantiquement proche de la première. Ceci est à notre avis une situation préoccupante dans la mesure où ce «glissement» sémantique peut sur le plan notionnel, entraîner aussi un changement de fonction syntaxique. Dans notre approche, nous avons adopté comme système de relations syntaxiques[2] celles de coordination et de subordination essentiellement pour des raisons évidentes de complémentarité entre les deux concepts tant sur le plan syntaxique que sémantique. Ceci est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’un système de relations et de fonctions où chaque concept assure certes un rôle particulier mais qui est ni complètement distant ni complètement distinct de celui de l’autre, comme semble le confirmer Barrenechea quand elle note:

 

La coordinación relaciona elementos de función equivalente, no interdependientes; la subordinación, miembros de funciones no equivalentes, de los cuales uno es núcleo y otro modificador, la interordinación, miembros de funciones no equivalentes e interdependientes, en que ambos son núcleos (1979: 89).

 

  Notre approche est simple. Nous partons de l’hypothèse (bien connue) selon laquelle tout système grammatical de signes se constitue sur la base d’oppositions de nature sémantique où chaque signifiant est lié à un signifié pour constituer l’ensemble des traits qui caractérisent le signe en question, par rapport aux autres membres du système. Mais dans l’acte de communication, il peut arriver que certains éléments d’information de nature contextuelle et situationnelle interfèrent comme compléments de l’information jusque là véhiculée par le signe en question. Dans cette optique, nous pensons qu’il est d’importance primordiale dans toute approche explicative de faire la distinction entre le signifié du signe et les différents sens du message qu’il véhicule. Ce faisant, nous essayerons de présenter pour chaque cas de figure le sens que nous attribuons à chaque élément de coordination en nous basant sur le système d’oppositions, ce qui nous permettra d’évoquer la nature du message dans lequel il peut intervenir tout en justifiant évidemment le sens que nous lui avons assigné en fonction de sa contribution sémantique sur le système d’ensemble. Comme l’on peut le constater, toute étude sémantique en la matière prend essentiellement appui sur un certain nombre de traits distinctifs en fonction du contenu grammatical du relateur en question. De ce point de vue, l’occurrence de tout élément de relation dans un contexte propositionnel déterminé doit prendre appui sur son signifié propre. Nous aurons à cet effet les caractéristiques suivantes en fonction de la nature du morphème en présence.

— Le morphème et/y qui marque l’union de deux ou plusieurs membres d’un système syntaxique donné.

— Le morphème mais/pero qui marque l’union de deux membres uniquement avec idée de contraste ou d’opposition.

— Le morphème ou/o qui traduit une union avec possibilité de choix entre deux ou plusieurs membres d’un système de communication.

— Le morphème ni comme symbole d’union corrélationnelle de deux ou plusieurs membres à connotation négative.

— Le morphème sino qui en espagnol traduit une union établie sur la base d’une opposition corrélative entre deux membres d’un système où le premier a obligatoirement une forme/valeur négative.

Pour justifier l’assignation de toutes les valeurs sémantiques que nous venons d’évoquer, il est nécessaire de s’inspirer toujours des différents emplois contextuels de chaque relateur, lesquels ne doivent pas être incompatibles avec le contenu sémantique dudit relateur. Ce faisant, une justification par inférence (contextuelle ou situationnelle) du message véhiculé par le texte sera possible. Après cette vue d’ensemble sur les éléments de relation dans leur globalité, il est nécessaire d’aborder quelques cas précis afin de toucher du doigt les différents contours du problème dans la phrase espagnole et/ou française.

 

 

Le morphème ET / Y et les compléments adverbiaux

 

De par son comportement syntaxique, le relateur et/y aussi bien en français qu’en espagnol semble être celui qui affiche une signification plus neutre, par rapport aux autres éléments de relation car il traduit une union entre les deux membres de la coordination. C’est sans doute pour cette raison que Dik parlant de ce morphème pense qu’il est «a multiple purpose tool of low semantic specificity» (1968: 269).

Sur le plan pragmatique, nous savons en effet de ce morphème qu’il indique tout simplement une union entre deux ou plusieurs membres de la structure sans toutefois se prononcer sur le caractère de la relation établie, même si parfois les adverbes ou phrases adverbiales qui accompagnent la conjonction ajoutent de façons explicite certaines références au caractère de cette relation, mais avec possibilité d’inférence des autres indices[3] (nous le verrons tout à l’heure). Nous allons essayer maintenant d’évoquer quelques types de phrases où intervient ce morphème, en fonction de la nature du message en présence. Nous aurons par exemple des messages où ils interviennent comme simples éléments copulatifs. Exemple:

 

Les passagers sont sur le quai et (sont en train d’attendre) attendent l’arrivée du train

 

Parfois, le relateur et/y se positionne comme un copulatif continuatif en espagnol, notamment avec la présence de la particule en fin, comme l’on peut le constater dans certaines phrases. Exemple:

 

Los fines de semana, solemos salir de excursión a la selva y a hacer, en fin, un descanso merecido

 

  L’élément peut aussi être un simple additif propositionnel du genre también, tampoco, además, etc.). Exemple:

 

Sería muy aburrido, y además no sería lógico

 

Cet additif peut être un élément mis en relief dans la phrase par le truchement des expressions comme aparte, es más, hasta, sobre todo, lo que es más, inclusive, lo que es peor, por supuesto, etc., qui interviennent généralement comme marqueurs du discours. Exemple:

 

Yo cursé Derecho en la Universidad de Sevilla, y hasta / e inclusive me concedieron una beca

 

Dans certaines structures, nous avons affaire à une relation cause/effet, qui se traduit par des particules comme así, de allí, por eso, de esa forma, entonces, etc. Exemple:

 

En África hay mucha pobreza porque hay injusticia, y así / entonces, todos los jóvenes se marchan

 

Cette phrase tranche avec une autre forme de structure, celle qui traduit par exemple ce que nous pouvons qualifier de contraste d’exclusion notamment avec la particule en cambio. A titre d’illustration, nous avons la phrase suivante, que nous empruntons à Barrenechea (1979: 10). Exemple (cité):

 

Pensé que como director de televisión no iba a llegar [...] y en cambio vi que la parte de producción podría llegar a ser una cosa más efectiva

 

Dans cet exemple, la particule en cambio exprime une nuance fondée sur un contraste qui sur le plan sémantique renvoie à l’exclusion de la première idée exprimée. En français, le contraste d’exclusion sera traduit par la particule par contre, par opposition au contraste non excluant qui s’exprime à travers le morphème cependant / sin embargo. Nous aurons à cet effet une séquence comme:

 

Les élections ont été globalement transparentes, et/mais/cependant les critiques fusent de toutes parts pour réclamer leur annulation

 

L’idée traduite ici pourrait être remplacée par et pourtant. Dans le même ordre d’idées, nous avons des séquences qui traduisent une idée de quasi-équivalence, à travers des expressions comme es decir, lo que es lo mismo, présentes dans des structures du genre. Exemple:

 

Hay personas que trabajan para el bienestar de todos, y que al mismo tiempo arriesgan su vida por sus ideas, y lo que es lo mismo, son siempre las mismas personas las que están haciendo las mismas tareas

 

Cette séquence est différente d’une séquence temporelle qui tourne autour des particules temporelles comme después, entonces, luego, al último, etc. Prenons un exemple:

 

    La situación era normal hasta aquel día, y después, todo se derrumbó

 

Nous remarquons globalement que la plupart des nuances que nous analysons ici sont liées au contexte d’énonciation. Cependant, la nature du relateur dans son rôle de conjonction est fortement influencée par la présence dans la phrase des adverbes ou phrases adverbiales qui en modifient le sens. C’est ainsi par exemple que cette conjonction ou tout autre élément de relation marquera, de par son contenu, un certain rapport à l’espace[4] pour un objet considéré qui, selon la terminologie de Camprubi (1999: 16), renvoient soit à une localisation intérieure, soit à une localisation non intérieure, marquant ainsi un déplacement vers ou jusqu’à un lieu donné. En tenant compte de la distinction entre le plan de la langue et celui du discours tels que définis par Pottier et les «guillaumiens», ce qui nous intéresse ici est la différenciation au niveau conceptuel d’une signification émanant d’un signifié en langue, notamment pour un mot grammatical et d’un emploi qui peut se définir comme la résultante ou effet de sens de ce signifié au plan du discours. Ceci est d’autant plus vrai qu’un élément de relation, une préposition par exemple, peut selon les emplois, correspondre à plusieurs cas linguistiques (et conceptuels), à l’instar de por, qui en espagnol introduit aussi bien un complément de cause que d’agent, correspondant chez Pottier respectivement aux cas «casuel» et «agentif».

 

 

Le contraste excluant et non excluant de la coordination

avec PERO et SINO par rapport à Y

 

La coordination avec pero (représenté par mais dans la phrase française), signifie sur le plan syntaxique une union restreinte uniquement à deux membres de la structure propositionnelle, mais avec la particularité qu’elle traduit en fait un certain contraste de valeurs propres à chaque membre de l’union. En général, il y a prédominance de l’indice contextuel qui traditionnellement est bien restrictif, d’où son caractère non excluant sur le plan pragmatique, lequel atteste de la validité des deux membres en présence, soit sous la forme affirmative soit sous la forme négative, selon les cas. Nous verrons par exemple que les formes restrictives qui renvoient généralement à la non exécution des faits peuvent entraîner aussi bien des structures affirmatives que négatives, au contraire des formes d’exclusion qui apparaissent uniquement quand certaines conditions bien précises accompagnent la négation et les référents de cette négation (nous y reviendrons tout à l’heure). De ce point de vue, il est indispensable, si l’on veut simplifier les choses, qu’il y ait une opposition de formes affirmative et négative (comme c’est le cas avec sino, mais pas dans l’unique ordre admis par celui-ci), et que cette opposition porte sur des membres symétriques. Prenons un exemple:

 

La epidemia es cada vez más complicada, pero controlada por los científicos

L’épidémie est de plus en plus compliquée, mais contrôlée par les scientifiques

 

Cette phrase nous présente un exemple de coordination avec contraste non-excluant. Il s’agit ici d’un usage contextuel commun, c’est-à-dire celui que tous les livres de grammaire aujourd’hui ont l’habitude de prendre pour définir le signifié de ce relateur. Dans le cas d´espèce, il faut souligner le fait qu’en plus de son contenu non-excluant, le message en présence traduise l’union des deux membres de la structure propositionnelle, en dépit de l’idée d’opposition qui persiste.

Nous dirons à cet effet qu’à l’instar de la coordination avec la conjonction et/y, le relateur pero offre aussi les quatre possibilités de combinaison de membres affirmatifs et négatifs, comme l’attestent les exemples ci-dessous (les phrases citées sont de nous-même):

 

Se viste mal, pero se atreve a actuar de modelo

Se viste bien, pero no se atreve a actuar de modelo

No se viste mal, pero no se atreve a actuar de modelo

No se viste bien, pero se atreve a actuar de modelo

 

Ceci s’explique par le fait que dans la pratique discursive, les deux traits (union/opposition) sont généralement déterminés par les signes (y, sin embargo), alors que pero tend à les réunir en un seul. Par ailleurs, nous pouvons dire que sin embargo sur le plan syntaxique a fini par acquérir une certaine nuance de nature anaphorique qui renvoie de façon automatique au premier membre de l’opposition, même si étymologiquement ce caractère ne lui est pas associé. Exemple:

 

A los musulmanes no les gusta el vino, pero sí a los cristianos

Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir

 

Ces deux phrases nous offrent un exemple de contraste d’exclusion. Il s’agit en fait d’une union dans laquelle une hypothèse annule l’autre tout en l’excluant totalement de toute éventualité de réalisation. Dans ce genre de construction en espagnol, certains adverbes à l’instar de no / sí peuvent intervenir pour renforcer le contraste négatif / positif, même si l’adverbe n’est pas très usité en pareille circonstance. Ici. Il est préférable que le contraste s’établisse entre les membres propositionnels non verbaux, puisque ce faisant, il se dégage plus facilement une certaine symétrie des éléments opposés. Par exemple, dans la première phrase citée plus haut, l’opposition syntaxique ne s’établit pas avec le verbe gustar quoique la négation précède le verbe, mais avec musulmanes et cristianos. Il en est de même pour le verbe vouloir de la deuxième phrase où l’opposition s’établit normalement entre tout le monde et personne. Essayons maintenant de comparer les contextes d’exclusion où il y a alternance entre les relateurs y, pero et sino. Exemple:

 

A los musulmanes no les gusta el vino, y sí a los cristianos

A los musulmanes no les gusta el vino, pero sí a los cristianos

No les gusta el vino a los musulmanes, sino a los cristianos

 

Le contraste que marque sino entraîne presque toujours une idée de substitution parce que l’existence obligatoire d’un premier élément négatif, corrélatif à un second suppose que le deuxième membre se substitue de façon automatique au premier. Par contre, avec les relateurs y et pero, l’absence de cette marque de solidarité revient à dire qu’il n’existe aucune nuance de substitution d’un membre par un autre, sinon une confrontation symétrique de signes opposés avec l’agrégat des traits de contraste explicite dans pero et absent dans y. Il faut remarquer au passage que l’absence du trait d’obligation d’un premier membre négatif annule la possibilité de son existence dans le second. C’est ce qui explique à notre avis le fonctionnement des séquences qui présentent une coordination entre des propositions qui ne sont pas forcément assertives. Dans ces genres de constructions, l’on remarquera qu’un membre est obligatoirement non assertif (dubitatif, hypothétique, concessif, etc.), alors que l’autre peut l’être ou non. Dans cette perspective, l’union et le contraste sont à la charge du morphème pero tandis que le doute, l’hypothèse ou la concession présents pour les nuancer dépendent en quelque sorte du caractère des membres en présence. Ceci participe une fois de plus à l’ambiguïté ou à l’ambivalence qui caractérise habituellement les éléments de relation sur le plan syntaxique, et dont constat est fait par Gili Gaya:

 

La relación prepositiva pertenece esencialmente a la oración simple. Aunque no sea posible en todos los casos separar absolutamente las conexiones lingüísticas que una y otra clase de partículas significan, y a sabiendas de que existe entre ambas una zona de delimitación borrosa, mantendremos la diferenciación tradicional por motivos de claridad expositiva y porque responde a una realidad funcional evidente (19618: 245).

 

Même si Gili Gaya accepte de maintenir la différenciation traditionnelle pour des raisons de clarté expositive et fonctionnelle, il reconnaît cependant que la délimitation (sans doute conceptuelle) des éléments de relation s’accompagne usuellement d’un flou, que les élèves n’arrivent pas toujours à élucider. On constatera que même la définition qu’il consacre au terme préposition aura des limites sur le plan fonctionnel lorsqu’il dit: «La función propia de toda preposición consiste en servir de nexo entre un elemento sintáctico cualquiera y su complemento» (§ 186).

Des exemples dans l’usage courant de ces morphèmes semblent en effet nous prouver parfois le contraire, notamment avec certains emplois anaphoriques qui portent sur ce qu’on appelle traditionnellement l’emploi adverbial de la préposition (cette question a été abordée par Borillo 1993). Prenons quelques cas. Exemple:

 

Le secret est dehors

Le directeur est dedans

Il est devant / está delante

Du secrétaire général / del secretario general

Du vice-président / del vice presidente

Del tren a la cama

 

Si on devait admettre que la préposition sert essentiellement comme élément de liaison entre un élément syntaxique quelconque et son complément, comment pouvons-nous appliquer une telle définition à des séquences comme está delante, du secretaire général, etc., où il existe certes une préposition, mais qui ne joue pas apparemment le rôle qui lui est dévolue traditionnellement, à savoir celui de liaison? Dans ces emplois en effet, nous constatons que la place de la préposition en présence (en début ou à la fin de la phrase) ne lui confère syntaxiquement aucune fonction de liaison, même si ces emplois renvoient à des sous-entendus qui, bien interprétés, pourraient intégrer cette fonction. Nous allons essayer maintenant d’aborder, toujours dans ce rôle controversé des éléments de relation, le cas du morphème de coordination o en espagnol.

 

 

Les manifestations syntaxiques du relateur O

comme morphème de choix et non de contraste d’exclusion

 

Dans cette partie, nous allons essayer de voir ce qui fait la particularité du relateur o comme morphème de choix et quelles relations il entretient sur le plan syntaxique avec les morphèmes de contraste que nous venons d’étudier plus haut. Déjà, il est important de savoir qu’en espagnol, le choix d’exclusion ou de non exclusion exercé par le morphème o est, à l’instar du contraste, essentiellement tributaire de l’inférence basée sur des données contextuelles ou situationnelles. Sur le plan pragmatique, il s’agit d’un choix d’inclusion dans lequel tous les membres de l’union se sentent impliqués et non un choix établi uniquement entre deux membres d’une structure discursive. Dans cette pluralité de membres, il y a la possibilité d’entrevoir une espèce de fonction distributionnelle où chacun assume le rôle qui lui est dévolue ou souvent les deux à la fois dans les mêmes conditions. C’est en ces termes donc que se pose toute la problématique du choix attesté par les différents contours du morphème de coordination o dans la phrase espagnole, reprise en français par le morphème ou (inclusif ou exclusif). Il est donc question de voir sur le plan fonctionnel les nuances qui caractérisent le relateur o en tant que morphème de choix, par opposition à l’idée de contraste qui lui est souvent attribué et dont l’appréciation n’est pas toujours évidente de la part des élèves. Déjà, précisons que le choix qu’offre la conjonction o n’est pas nécessairement excluant, d’où la nécessité de la prise en compte de l’indice contextuel et situationnelle dans l’analyse des différentes possibilités syntaxiques qui s’offrent à nous (comme déjà signalé). Si tel est le cas, il convient de remarquer qu’en plus de la nature du choix, il y a les différentes possibilités de désigner un même objet notamment en nous fondant sur la notion d’équivalence ou en nous servant parfois d’informations approximatives, non délimitées par un référent donné. Dans un tel contexte, le relateur o traduit ce que nous appelons l’imprécision référentielle. Exemple:

 

Sindicalistas o no sindicalistas, todos somos iguales

 

Dans cette structure, la coordination agrège à l’union la notion de choix entre les différents membres qui la constituent, étant entendu que l’on suppose qu’il peut y avoir des syndicalistes et des non- syndicalistes. Si à la place du relateur o l’on utilise plutôt le coordonnant y, le texte alors exclut toute possibilité de ce choix, quelle qu’en soit la nature. Ceci nous permet d’évoquer le rôle du relateur o dans les cas d’équivalence stricte et des quasi-équivalences. Prenons un exemple:

 

Los domingos, es frecuente o común que salga de viaje

Abundan en esta región las golondrinas o pájaros primaverales

 

Quelles interprétations pouvons-nous faire de ces phrases? Dans l’une ou l’autre structure, le locuteur offre un choix entre les différentes manières de designer un même objet et non un choix entre objets distincts. Ce choix n’intègre pas l’idée de contraste contenue par exemple dans le relateur pero. Dans le cas d’équivalence stricte, nous parlons de choix de nomenclature, notamment quand le locuteur se réfère à une espèce donnée ou à quelque chose de bien précis de par sa nature (animale, minérale, végétale etc.), reconnue par la science ou par l’usage courant. Dans ce cas, il intervient pour orienter vers le sens de l’équivalence stricte du message (ce que nous savons des référents), mais le sens grammatical de l’usage d’un seul article annule dans l’espagnol actuel toute ambiguïté possible et par ricochet toute autre interprétation. Dans le cas de quasi-équivalence, c’est-à-dire lorsque le concept en présence n’est pas clairement défini, les termes utilisés sont interprétés comme approximativement semblables à la fonction expressive de renforcement atténué. Il faut dire que les noms ou expressions utilisés dans le cas de l’équivalence stricte sont des espèces de nomenclatures propres à des sous-systèmes lexicaux[5] différents, alors que dans le cas de la quasi-équivalence il s’agit des mots avec des nuances sémantiques plus ou moins sensibles qui appartiennent à un même sous-système lexical, lequel permet une certaine imprécision. Nous aurons ainsi des séquences du genre:

 

No se había presentado sino a las once o doce

Cuando falleció su padre, tenía diez u once años

 

Ici, le relateur offre le choix entre les données en présence, puisque le contexte permet de sous-entendre que les faits pouvaient coïncider avec l’une ou l’autre de celles-ci, ou alors tomber dans une zone intermédiaire non spécifiée.

 

 

CONCLUSION

 

Comme nous venons de le constater, les morphèmes relationnels, en plus de leur rôle traditionnel, présentent des caractéristiques situationnelles qui sur le plan du discours leur confèrent des fonctions variées et diversifiées. Ces fonctions permettent selon le contenu sémantique et la structure syntaxique de l’énoncé en présence, de déceler des contrastes qui renvoient à certaines spécificités argumentales qui ont fait l’objet d’analyses particulières tout au long de cette étude, notamment avec les quelques cas comme ceux portant sue le locatif, l’agentif, le bénéfactif etc. Nous espérons en avoir tiré bonne substance. Aussi souhaitons-nous que les conclusions qui se sont dégagées à l’issu du décryptage des cas évoqués aient contribué un tant soit peu à faciliter chez les élèves la compréhension du fonctionnement des éléments de relation en français et en espagnol.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE CITÉE

 

e. alarcos llorach (1980), Estudios de gramática funcional del español, Madrid, Gredos.

a. m. barrenechea (1979), Estudios lingüísticos y dialectológicos. Temas hispánicos, Buenos Aires, Hachette.

c.e. bazell (19532), Linguistic Form, Istambul, Carl Winter.

a. borillo (1993), «Prépositions de lieu et anaphore», Langages, 110, pp. 27-46.

m. camprubi (1999), Questions de linguistique romane contrastive: espagnol, catalan, français, Toulouse, PUM.

d. creissels (1995), Eléments de syntaxe générale, Paris, PUF.

t. v. dik (1968), Coordination. Its Implications For The Theory of General Linguistic, Amsterdam, North Holland.

s. gili gaya (19618), Curso superior de sintaxis española, Barcelona, Bibliograf.

s. karcevkij (1931), Sur la phonologie de la phrase, T C L P. 4, pp. 188-227.

g. lazard (1994), L’Actance, Paris, PUF.

b. pottier (1992), Théorie et Analyse en Linguistique, Paris, Hachette Supérieur.

b. pottier, b. darbord, p. charaudeau (1995), Grammaire explicative de L’espagnol, Paris, Nathan.

l. tesnière (1959), Eléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck.

n. trubetzkoy (1939), «Les rapports entre le déterminé, le déterminant et le définí», Mélanges de Linguistique offerts à Ch. Bally, Genève, Orphrys, pp. 77-82.


 

[1] En marge des prépositions, les éléments de relation supposent également les conjonctions, les quantitatifs et les particules.

[2] L’interprétation des systèmes de relation varie selon les auteurs. Nous renvoyons à cet effet à Bazell (19532: 33-35), qui nous parle de coordination, subordination et interordination. C’est aussi le cas de Karcevkij (1931), qui nous parle également de la coordination et de la subordination. Il s’agit enfin de Trubetzkoy (1936), qui parle à son tour de coordination, subordination et sujet-prédicat. La liste n’est pas exhaustive.

[3] L’ordre des membres impliqués dans une coordination est d’habitude important pour inférer la relation cause/effet par exemple, ou pour des séquences de sériation temporelle.

[4] Dans cette partie consacrée aux fonctions casuelles des éléments de relation, nous nous inspirons abondamment des travaux de Camprubi (1999), qui à ce sujet a délimité trois domaines  essentiels de référence: référence spatiale, référence temporelle, et référence notionnelle (nous y reviendrons plus tard).

[5] Nous parlons ici de sous-systèmes différents, parce que la double nomenclature procède souvent à des distinctions régionales (dialectes), ou alors les langues dites spéciales (termes techniques face aux noms vulgaires), ce qui nous renvoie aux divers lexiques linguistiques ou toute autre source qui implique la notion de sous-système.